“L’enfant d’en haut”, une fable sociale

Ursula Meier ne souhaite pas donner à son film une trop grande importance à la dimension sociale : pas d’intervention de la police ou des services sociaux, pas de lutte des classes, pas de pathos, juste une mère et un fils partagés entre deux territoires en quête d’identités.

La part de l’imaginaire est tout aussi importante que le contexte social.

Ce qui intéresse la réalisatrice, c’est la fable, une fable sociale, un conte désenchanté où ne figure pas de morale. A la manière du Petit Poucet, Simon sème des skis en les dissimulant à plusieurs endroit.

Simon vole mais redistribue les richesses tel un Robin des neiges, en vendant des vêtements et du matériel de ski aux enfants de la vallée pour quelques pièces seulement.

La mère de famille anglaise est l’incarnation de la grâce, telle une fée aux longs cheveux d’or. Mais sa réaction froide et détachée lorsqu’elle découvre le mensonge, le vol et la trahison de Simon met fin à son idéalisation.

Le chef cuisinier peut s’apparenter à un ogre, faisant manger les enfants d’en haut et prêt à engloutir ceux d’en bas ou du moins prêt à s’en débarrasser au même titre que les déchets. Le corps inerte de Louise l’assimile à la Belle au bois dormant ou à Blanche-Neige, mais aucun prince charmant à l’horizon. Va-t-elle se réveiller ?

Pour échapper à leur condition, Louise fuit mais reste dans le monde d’en bas, comme prise au piège dans son horizontalité, prise dans une logique destructrice dont elle ne parvient pas à s’extraire.

Simon s’élève en quittant le monde d’en bas pour celui d’en haut. Ses voyages rythment et tendent le récit : ses vols sont de plus en plus risqués, la perspective de la solitude s’amplifie.

Ses montées et ses descentes traduisent également les émotions du spectateur qui vit avec Simon la déception de ses attentes affectives.

La réalisatrice ne juge pas, elle raconte. Pas de condamnation, ni de morale. Si Simon semble parfois calculateur et arrogant, il ne se positionne pas en victime et apparaît souvent aimable et sympathique, débrouillard et méritant.

Continuer à voler est un moyen de survie mais également une manière de garder Louise auprès de lui puisqu’elle est dépendante de son argent. Son besoin affectif le pousse à se rapprocher de cette riche touriste et à se jeter dans ses bras à la fin, moins pour se faire pardonner que pour y chercher la chaleur maternelle qui lui manque.

Le récit se tend jusqu’à la scène de la révélation. Si Louise se présente comme la sœur de Simon, le spectateur a des doutes. Des parents absents, plusieurs versions les concernant, Louise qui va et qui vient au gré de ses rencontres avec des hommes de passage…

(Lors de la scène de la salle de bain, Simon demande à Louise : « Le mec à la BM rouge, tu lui as dit quoi pour moi ? ». Louise lui répond : « Rien ».)

Simon sent que la relation de Louise avec cet homme devient de plus en plus sérieuse, qu’il est en train de la perdre. Il a peur que Louise parte définitivement avec lui et décide spontanément de lui dire lui-même la vérité puisque Louise ne le fait pas : Louise est sa mère et non sa sœur.

Après cette scène de la révélation, un changement significatif s’opère : il ne s’agit plus d’une fratrie livrée à elle-même mais d’une relation mère/fils inversée dans ses rapports. Jusqu’où iront-ils, elle dans son déni et lui dans sa volonté de la garder auprès de lui ? Cette révélation va-t-elle agir comme prise de conscience de la part de Louise dans son rôle de mère ou bien va-t-elle faire exploser définitivement leur relation ?

Le film met à nu ce lien mère/enfant et esquisse, in extremis, une remise à l’endroit.

Lorsque Louise et Simon se battent comme deux animaux, il n’y a plus que le corps qui s’exprime. Lors de la scène devant la fenêtre où Simon la regarde, il n’y a plus rien à se dire, il n’y a plus de mot.

Les films d’Ursula Meier ne sont pas des films de dialogues, les dialogues ne sont jamais explicatifs.

La résolution ne passe jamais par les dialogues, c’est beaucoup plus complexe. A un moment donné, le dialogue est impossible.

Louise n’est plus la mère de Simon, elle n’est plus sa sœur non plus, elle n’est plus rien. Il va se réfugier dans le monde d’en haut mais il n’y a plus personne, il n’a plus d’endroit où aller. Cette fois, c’est lui qui part et non pas elle et c’est ce qui va la faire réagir, comme un sursaut maternel. Lorsque Simon redescend, il croise cette mère qui le recherche : c’est le début d’une reconnaissance, d’un amour maternel. Ce n’est pas une « happy end » mais le début de quelque chose, une forme de positivité.

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