“Moonrise Kingdom”, Une précision mathématique

Wes Anderson se révèle être un véritable architecte de son univers et de son film, agençant les éléments les plus disparates entre eux pour former un tout, ordonnant la mécanique des évènements avec une précision d’horloger jusqu’au chaos final, chaos lui-même méticuleusement orchestré. Le contraire de l’improvisation. Nous sommes en effet à des lieues d’un cinéma néoréaliste et des tentatives semi-improvisées de la Nouvelle-Vague. Cet ordre maniaque des choses obéit à une rigueur presque mathématique qui se traduit à l’écran par de nombreux procédés géométriques et véhicule une froideur compensée par l’humour et par l’abondance de couleurs chaudes, créant un équilibre parfait qui évite au film de s’enliser d’un côté (dans le figé, le trop factice, le non-vivant) ou de l’autre (le film pop, le trop criard).

Le côté obsessionnel de cette réalisation entre en écho avec la psychologie des enfants, eux-mêmes obsessionnels.

Relever les éléments géométriques dans la réalisation.

● LA SYMÉTRIE

Étudier la façon dont la plupart des images sont composées et repérer les très nombreuses symétries réalisées (axiales, centrales). La « froideur » de la symétrie est compensée par la chaleur des couleurs et par l’humour de la mise en scène. Voir Dossier # 260 pages 12-13 et Éloge de la symétrie en ligne ou en téléchargement ci-après

L’axe de symétrie est une récurrence du cinéma de Wes Anderson : voir vidéo « Centered » : (2’23)

● LES LIGNES

Au fil des séquences, de nombreuses horizontales (corde à linge, ligne d’horizon, pont, carreaux de fenêtres, essieu de l’hydravion, entrée du camp Ivanhoé, longue table des scouts, flèche tirée à l’arc…) et verticales (axe du split screen, cabane de scouts dans l’arbre, fermeture-éclair de la tente, éclair, clocher…) sont parsemées dans l’image, lignes que l’on retrouve aussi dans certains modes de filmage comme les travellings avants ou latéraux (rappelons-nous la présentation du camp Ivanhoé ou même le plan d’ouverture), les plongées et contre-plongées absolues (lors de l’évasion de Sam par exemple) et les panotages s’effectuent à 90°.

● Le filmage des personnages : Wes Anderson abuse volontairement de la frontalité pour filmer ses personnages lors de scènes cruciales (notamment dans certains dialogues importants), ils sont donc souvent présentés en position centrale, de face, en plans taille ou gros plans frontaux. En d’autres moments, les personnages sont montrés sous leur strict profil.

● Le rituel de la lecture : de même, le filmage du rituel de lecture obéit à des règles bien établies qui se conjuguent de manière identique : le livre ouvert est filmé frontalement en gros plan / le plan s’élargit sur Suzy qui lit, toujours de face / plan large sur la lectrice en position surplombante et sur le ou les auditeurs, plus bas / retour sur Suzy et son livre avec un plan serré la présentant de profil.

L’obsession d’horloger du réalisateur est d’ailleurs malicieusement soulignée lorsque Suzy annonce « 2ème partie » à la 45ème minute du film, soit à l’exacte moitié du film, juste avant que l’histoire ne bascule vers l’enchaînement des évènements.

Relever des éléments caractéristiques de la mise en scène et de l’univers du réalisateur. Peut-on définir un style Wes Anderson ?

Effectivement, tous ces éléments (excentricité bricolée, rigueur visuelle, récit en fugue, prégnance musicale, couleurs pop, liens à l’enfance…) forgent le style de Wes Anderson, immédiatement reconnaissable.

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