“Parvana, une enfance en Afghanistan”, approche thématique

LE RÉCIT

● Un récit universel

Voir planche de photogrammes Un récit universel

Les armes modernes des talibans, les avions de guerre et les bombardements permettent de situer la fin du film en 2001, lorsque les Etats-Unis entrent en guerre. Toutefois, l’absence d’eau courante et la présence de charrettes à bras évoquent des temps plus anciens. Le père de Parvana lui parle aussi de son enfance, lui raconte la route de la soie, l’Histoire de l’Afghanistan. Cette confusion dans la notion de temps est renforcée par l’indétermination de la durée des événements : on ne sait pas combien dure l’emprisonnement du père de Parvana. Le choix d’associer des éléments de différentes époques donne au récit de Parvana une dimension universelle. Le spectateur est sensible à la lumière, au passage du jour à la nuit, au jeu de couleurs et de luminosité qui correspond à des phases de joie ou de détresse que connaissent les personnages. Le film se termine en pleine nuit, laissant l’espoir de poursuivre sur un matin ensoleillé.

« Le film est l’histoire d’une enfant qui, dans son passage à l’âge adulte, apprend progressivement à apprivoiser l’obscurité. » (Thierry Méranger)

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● L’épopée de Soliman

Voir planche de photogrammes L’épopée de Soliman

Nora Twomey introduit un conte, l’épopée de Soliman, au récit principal. Il est d’une durée de

15 min mais est fractionné. Cette alternance permet de rythmer le film. Le spectateur doit rassembler ces différences séquences afin de pouvoir reconstituer la totalité des aventures de Soliman.

Cette épopée est réalisée dans un style d’animation différent de celui du reste du film. La réalisatrice voulait que ce monde légendaire, ce « storyworld », ait un aspect artisanal. Elle avait choisi en premier lieu la technique du « papier découpé » (« cut out ») réalisée en stop motion ou « image par image » (par l’artiste française Janis Aussel), afin de renvoyer à l’esthétique de la tapisserie persane et à l’aspect intemporel de la fable. Dans un souci d’efficacité et de rentabilité, l’informatique a été privilégié. Réalisées dans le studio canadien par Jérémy Purcell, les images conservent le rendu fait-main et naïf du papier découpé, en jouant avec la superposition et le relief des différents éléments.

Grâce au contraste avec les images du récit principal plutôt réalistes, les images de l’épopée de Soliman revendiquent le droit de se fabriquer des images dans sa tête, faisant un pied de nez aux talibans qui interdisent toute forme de représentation.

L’épopée de Soliman illustre également la dimension intemporelle du film en introduisant la fable, qui renvoie à la tradition orale de la culture afghane que les talibans cherchent à anéantir.

Elle est le symbole de la lutte contre les talibans : ces derniers détruisent les livres, mais ils ne peuvent pas empêcher les gens de raconter des histoires.

Le père de Parvana le dit :

« Les histoires demeurent dans nos cœurs, même quand il n’y a plus rien. Notre peuple a l’art de conter des histoires depuis son commencement. »

Au départ, cette histoire d’un jeune garçon affrontant un monstre terrible qui affame et terrorise les siens peut sembler pour les élèves, éloignée du quotidien de Parvana. En réalité, ce conte est une version métaphorique de l’histoire de l’héroïne. Le monstre-éléphant que doit affronter Soliman n’est autre que le pouvoir taliban que combat Parvana. Cette identification de Parvana à Soliman est renforcée par le fait qu’elle doit se faire passer pour un garçon. De plus, on apprend que Soliman est le prénom du frère aîné de Parvana, mort dans des circonstances tragiques, ce qui apporte d’autant plus de puissance à cette histoire.

Au début, Parvana poursuit le conte commencé par son père pour distraire son petit frère Zaki, mais aussi afin que cette histoire ne se termine pas avec l’arrestation de son père, ce qui représente déjà une forme de résistance. Lorsque Parvana revient meurtrie de la prison, c’est sa mère Fatema qui prend le relais et qui poursuit l’histoire pour la consoler, alors que Zaki est profondément endormi. Plus tard, depuis leur cachette, c’est Shazia qui demande à Parvana de poursuivre le récit en en modifiant le cours : elle impose la présence d’un cheval et donne un nom au héros. Enfin, Parvana termine l’histoire en se la racontant à elle-même afin de se donner du courage. Elle interpelle Soliman, elle l’encourage et invoque sa protection. Par ce biais, elle s’adresse indirectement à son frère défunt. Les deux personnages fusionnent : c’est le protagoniste du conte qui révèle la fin tragique du vrai Soliman.

L’invention du conte permet à Parvana d’extérioriser ce moment de l’histoire familiale, trop douloureux pour être évoqué et d’affronter une réalité que tout le monde préférait occulter. En mettant en scène cette fable, Nora Twomey rappelle le rôle de la fiction. Sans l’appui de Soliman, qui lui permet de s’échapper du réel, Parvana ne parviendrait pas à accomplir sa mission (ramener son père à la maison).

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● Le récit de Parvana

Voir planche de photogrammes Le récit de Parvana

Les malheurs de Parvana mettent en lumière l’absurde cruauté de la loi que font régner les talibans sur l’Afghanistan. L’arrestation du père est l’élément déclencheur de l’intrigue et permet d’insister sur les tâches que vont devoir accomplir Parvana, Soraya et leur mère pour pouvoir survivre : trouver à manger et aller chercher de l’eau.

La structure du récit cadre se veut linéaire : Parvana part de chez elle pour aller libérer son père à la prison. Mais le récit se révèle plutôt cyclique : basé sur le rythme de la journée : Parvana quitte son foyer puis rentre le soir.

En ce sens, Thierry Méranger (l’auteur du dossier enseignant sur Parvana), la compare à un protagoniste de jeu vidéo qui lorsqu’il perd une vie recommence depuis le début et arrive à chaque fois un peu plus loin.

Toutefois, notons la présence de plans différents lorsque Parvana sort de chez elle : chaque journée n’est pas le simple recommencement de la précédente mais représente à chaque fois une petite avancée. La répétition de ses excursions permet à Parvana d’évoluer et de devenir l’héroïne d’un récit d’apprentissage. Sa marge d’autonomie augmente et Parvana fait preuve de plus en plus de courage : elle va plus loin, sort plus longtemps, prend plus de risques. Lors de la première sortie avec sa mère, on perçoit que rien que le fait de sortir de la maison représente un danger (le plan rapproché montre la détermination des personnages et le plan large suggère une menace potentielle). Puis, Parvana devenue Aatish, prend de plus en plus d’assurance (plans rapprochés, gros plan sur les pieds, force évocatrice de la volonté de Parvana).

Ensuite, plus de plans sur la sortie du foyer : Parvana se sent plus libre de sortir. Lors de la dernière sortie (Parvana décide d’aller chercher Baba contre l’avis de sa mère), la scène de départ dure (différents plans, champ/contre-champ, gros plan sur la fenêtre et la main de sa mère à vocation protectrice, plongée, mettent l’accent sur l’angoisse des personnages) : le risque est beaucoup plus important, comme si c’était un adieu.

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● Une fin ouverte

L’hybridation des 2 récits permet au film Parvana de raconter à la fois un drame familial, un récit d’apprentissage et d’émancipation et une fable orientale. Il y a donc un aspect fictionnel, documentaire et fabulaire.

[Ressource accessible avec un compte privé “enseignant”]

Extrait vidéo disponible ici : Fin

Nora Twomey a choisi une fin ouverte pour le film. En échangeant avec les Afghans, elle dit qu’elle ne pouvait pas conclure avec une fin simpliste ou heureuse. On ignore quelle solution est possible. En revanche, elle tenait à montrer l’espoir à travers le visage de Parvana, à travers la connexion à son père, renforcé par le chœur des femmes que l’on entend. Ce qu’elles chantent sont les mots d’un poète persan, qui disent que la voix sert également à guérir et à panser les plaies. De plus, au vu de l’actualité brûlante et les conflits qui perdurent, il était impossible de proposer un happy end : ce serait injuste vis-à-vis des victimes, où qu’elles soient. C’est pourquoi la fin repose sur le visage de Parvana. On y voit tout ce qu’on veut.